Pour que cela n’existe plus…

Je me souviens qu’en 1976, plus précisément le 5 juin 1976, j’eus le privilège, avec Claude Borg, d’accompagner Satprem qui allait rendre visite aux huit Auroviliens emprisonnés à Tindivanam. Je me souviens du silence qui, dès son arrivée, descendit
instantanément sur leur cellule et me sembla même envelopper la prison toute entière. Je me souviens des regards. Je me souviens de l’intensité de ce moment. Nous étions tous cloués sur place. Après avoir plongé ses yeux, passant lentement de l’un à l’autre, au plus profond des yeux de chacun des huit, Satprem a empoigné les barreaux qui le séparaient des prisonniers, serrés de l’autre côté en un bouquet de têtes immobiles : « Nous nous battons, a-t-il dit, pour que cela n’existe plus. »


Comment ne pas se souvenir de ce jour, comment ne pas évoquer cette phrase au moment où des forces obscures veulent emprisonner Auroville ? Non pas derrière de gros barreaux de fer cette fois-ci, mais derrière un grillage serré de règles insensées, absurdes – risibles pourrait-on même dire – mais aussi parfaitement cruelles.

Inutile de chercher à savoir quelle est la personne ou quelles sont les personnes à l’origine de ces règlements. Bien entendu nous connaissons le nom de certains de ces esprits dérangés qui confondent Auroville avec un camp de rééducation chinois du temps de Mao Tsé-toung. Mais finalement qu’importe ? En définitive, c’est toujours la même force, la même rage, le même acharnement asourique pour détruire tout ce qui peut représenter un espoir, tout ce qui est vivant, tout ce qui aspire à la beauté, tout ce qui est tant soit peu à la recherche d’une autre façon d’être.


Et pour les Auroviliens, pour ceux aussi partout dans le monde qui soutiennent Auroville, c’est le moment du choix. Comme l’écrivait Satprem en 1976 : « Il faut choisir entre les forces du passé et celles qui veulent l’avenir. Il faut savoir ce que l’on veut. Et avoir le courage de le vouloir. La toute première qualité du nouveau monde, c’est le courage
Mère l’a assez dit. »

Dans cette Revue, nous avons assez souvent – et depuis toujours – critiqué les failles ou les manquements d’Auroville pour qu’il nous soit permis aujourd’hui d’affirmer que dans tout ce désordre aurovilien, dans cette communauté parfois incohérente et
indisciplinée qui constituait l’Auroville d’avant 2021, il y avait un ferment, il y avait une graine, il y avait une aspiration, il y avait une possibilité. La preuve en est que cette communauté, harcelée, fatiguée, meurtrie au plus profond, a trouvé la force intérieure pour résister à ceux qui veulent transformer Auroville en un couvent pénitentiaire. Malheureusement beaucoup trop de personnes, à Auroville comme à l’extérieur, s’imaginent qu’il est encore possible d’être « neutre ». Rappelons donc à tous que c’est tout simplement l’existence d’Auroville qui est en danger aujourd’hui. Et même s’il se peut qu’après sa disparition il en reste une caricature, que certains naïfs continueront d’appeler Auroville, n’est-il pas grand temps de comprendre ce qui se joue en ce moment ?
CD

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Editorial
de la Revue d’Auroville, n°64
parue en février 2025

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