Un témoignage sur le rôle de l’association
« Bonjour,
Je suis proche de l¹expérience d¹Auroville depuis de nombreuses années (Je suis proche plus anciennement encore de l¹expérience de Sri Aurobindo et de Mère). J¹en suis les évolutions par différents biais, en particulier par les revues et journaux, et aussi par quelques contacts de personnes en lien avec Sri Aurobindo et Mère.
Cette communauté de coeur dont vous parlez, sans nul doute, existe, et il est vrai que c¹est probablement pour une grande part une communauté « non liée », non formalisée, non constituée, faite d¹individus épars. La résonance qu¹ils ressentent, éprouvent avec Auroville leur est propre, intégrée plus ou moins avec leur expérience de vie. Sans doute, la résonnent-ils par différents biais autour d¹eux ?
Peut-on constituer une communauté plus construite de ces individus autour des idéaux d¹Auroville, pour en élargir le champ d¹action, les faire rayonner plus amplement ?
Certainement, si l¹idée émerge, c¹est qu¹un besoin est là.
Restent les moyens de cette « diffusion », de ce partage.
D¹Auroville, il est difficile de parler, en tous cas dans un premier temps, à qui n¹en a aucune connaissance. L¹aborder sous l¹angle des projets et réalisations est, à mon sens, très réducteur, mais, pourtant, c¹est ce qui semble être l¹entrée en matière la plus simple et évidente parce que cela joue sur un registre d¹informations qui n¹est plus étranger à quiconque à l¹heure actuelle :
tous les projets qu¹a développés Auroville sont peu ou prou objets de réflexion ou de réalisation dans beaucoup d¹endroits dans le monde (par exemple, tout ce qui touche à l¹environnement, à l¹habitat, à la préservation des ressources naturelles, l¹éducation, etc..).
Mettre en avant les recherches qu¹a conduites Auroville dans les différents domaines d¹organisation de la vie est effectivement une amorce pour « porter Auroville dans le monde ».
Cependant, il me semble important de recadrer ce travail particulier d¹Auroville dans un contexte « spirituel», même si le mot fait peur souvent. Sri Aurobindo a énoncé cela dans divers écrits *, et il me semble que nous ne pouvons ignorer qu’avant les projets, il y a plus qu¹un idéal : une démarche d¹ordre spirituel, même si elle ne prend pas les formes habituellement connues (souvent teintées par les pratiques rituelles ou religieuses) de la spiritualité. Auroville ne serait pas sans cela. Ce que je veux dire, c¹est que les réalisations d¹Auroville sur le plan matériel et de la vie humaine, considérables et à bien des égards intéressantes, ne sont que le reflet de « quelque chose » de plus important encore. Et cela pourrait/devrait être le ciment de toute communauté se réclamant des idéaux d¹Auroville.
Pour ma part, je suis en difficulté, voire même réticent, à l¹idée de parler d¹une « chose » sans avoir les outils pour en parler convenablement. Auroville est une « chose » si vaste et si complexe à mes yeux qu¹elle ne peut se résumer à ses réalisations et ses projets. Comment peut-on parler d¹Auroville ? Les outils manquent, à mon sens, parce que le niveau spirituel n¹est pas intégré ni même simplement envisagé, considéré, par la plupart de nos contemporains.
Et comment se « hisser » à ce niveau, si ce n¹est par un travail individuel, une sadhana, un yoga qui emmène chacun vers son svadharma et nourrit le dharma collectif ?
Ainsi, une communauté autour d¹Auroville ne peut, à mon sens, se constituer valablement que si cette dimension spirituelle est vivante et tend à devenir active. Tout cheminement individuel aboutit, à un moment, à cette nécessité de se relier. C¹est cette force d¹élan qui peut faire se rejoindre les personnes et faire aller vers une unité, qui n¹est plus alors seulement une union d¹individus issus de divers origines et lieux animés d¹un objectif ou un idéal commun.
De nombreux collectifs et réseaux se nouent de par le monde, en réaction, pour beaucoup, à une dérive constatable des préoccupations humaines vers une matérialité sans coeur et même sans raison, sans même parler d¹esprit. Nombre de ces regroupements procèdent d¹un élan vers un partage, une mise en commun, un élargissement, une soif de concrétiser et manifester un certain état d¹esprit, un certain idéal. Beaucoup, oui, sont nourris d¹idéal, peu le sont par une dimension proprement spirituelle (au sens, je le répète, où Sri Aurobindo, me semble-t-il, en parle).
Et pourtant, celle-ci ne peut être absente, car elle est le fondement. Et le lieu de son établissement est l¹individu. Et le lieu du travail est aussi l¹individu, ce qui est souvent oublié dès lors que l¹on construit un projet collectif. Il y a nécessité qu¹il y ait ces 2 pôles de l¹expérience humaine (l¹individu, le collectif) dans toute collectivité qui se constitue, pour que vivent et soient vivantes les interactions entre les 2.
Dans notre manière de fonctionner, de mettre en place et d¹organiser des actions, nous n¹usons, de manière générale, que de nos facultés mentales. Quelle place donnons nous, dans une démarche collective, à nos intuitions, à ce qui en nous vibre et vit, s¹exprime ou se ressent, à cette source d¹où cela provient ?
Quelle écoute accordons nous à nos corps, à notre ressenti physique, sensoriel, matériel, quelle place laissons-nous à l¹énergie qui nous traverse et se dissout dans les méandres et les complexités de notre organe mental ? La pratique du yoga apprend à écouter, à devenir conscient de tout ce qui bloque, empêche, dilue, disperse l¹énergie. Il apprend peu à peu à user de l¹énergie strictement suffisante pour l¹action.
Il me semble nécessaire de, peu à peu, mettre en place en chacun de nous cette capacité d¹écoute et d¹ajustement pour donner une dimension consciente et puissante à l¹action. Sans cette dimension de conscience, qui est autre que la conscience mentale que nous avons des choses, toute démarche perd en élan et rayonnement. Une communauté d¹Auroviliens du coeur devrait, à mon sens, se constituer d¹abord par ce travail en soi, qui se prolonge par l¹élan vers le partage, par la conscience de la nécessité de faire oeuvre collective.
Je ne sais quelle(s) direction(s) ou forme(s)concrètes peut prendre un projet d¹unité humaine autour d¹Auroville. Ma réflexion était plus générale, plus théorique, prolongement de questionnements précédents sur Auroville. Elle m¹est venue ainsi, parce que votre invitation s¹inscrit dans un moment d¹interrogation personnel ayant trait, pour une part, à cela.
Je ne sais dans quelle mesure elle vous sera « utile ». Je vous prie d¹en excuser l¹expression et le contenu si toutefois vous la trouviez par trop inadaptée à votre propos.
Je suis en cœur avec vous dans cette démarche de réflexion et de partage.
Bien à vous. »
Yannick MAUDET
(*) : voir « Pensées et aphorismes », « L¹évolution future de l¹humanité », par exemple.
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